vendredi 30 juin 2017

Les Business Schools, Libé, Macron et l'Immaculée Conception

Il y a une semaine, Libération publiait une tribune délirante de Patrick Fauconnier, fondateur du magazine économique Challenges, destinée à promouvoir son nouveau livre « Universités. Innover ou sombrer ».

Le livre est publié – à compte d’auteur ? - aux éditions Fauves, une des marques appartenant à Xavier Pryen « l’éditeur qui ne paie pas ses auteurs » comme l’écrivait Le Monde, également propriétaire des éditions L’Harmattan et de nombreuses autres entreprises comme le Lucernaire forum ou les aires de jeux pour enfants « Kidzy » à Wambrechies, Hénin-Beaumont et Conflans Sainte honorine. Inutile de l’acheter, donc.

On retrouve avec un trait plus grossier les lieux communs et mensonges habituels sur l’université destinés à vendre la dérégulation de l’enseignement supérieur. La technique de la propagande libérale est bien rodée : pseudo-experts relayés par la presse pour installer un « état d’esprit » auquel le gouvernement « répond » par un projet de loi (ou d’ordonnance).

Sauf que là, le pseudo-expert y allait un peu fort déclarant : « Notre université est à la traîne des grandes universités étrangères, ce qui explique une bonne part de notre record de chômage des jeunes ». Le chômage, la faute au mauvais ranking des universités ? Rien que ça ! On rappellera juste ici qu’avec la même méthode que celle de ces fameux classements, Aghion, un des conseillers du programme sur le SUP d’Emmanuel Macron, serait néo-prix Nobel d’économie depuis 2014…

De façon plutôt maladroite le pseudo-expert appuyait son propos d’un habillage historico-politique mettant en avant la FNEGE, la Fondation Nationale pour l’Enseignement de la Gestion des Entreprises qui n’avait vraiment pas besoin de ce cadeau empoisonné en ce moment ! Cette noble institution qui promeut les sciences de gestion aussi bien dans les universités que dans les grandes écoles se trouve malheureusement dans la tourmente depuis qu’elle s’est choisie pour président Bruno Lafont qui s’est illustré par un parachute doré à 8,4 millions d’euros et qui a surtout été mis en cause dans le scandale du financement éventuel de DAECH par Lafarge en Syrie.

Mais dans cette tribune M. Fauconnier avait décidé de donner dans le Grand-Guignol. Comme disait Boris Vian "faut qu'ça saigne"!

Martial, Fauconnier déclarait : « La France a musclé un réseau d’une cinquantaine d’écoles de management qui ont formé des bataillons de jeunes cadres et dirigeants adaptés à la mondialisation». Face aux médiocres universités, responsables du repli sur soi et de la montée des populismes, les Business Schools hérauts de la mondialisation, allaient sauver la France. On atteignait alors un sommet avec cette phrase incroyable : « Bien qu’il soit énarque, Emmanuel Macron est un peu le champion de ce qu’ont produit, depuis des décennies, ces écoles ». Les Business Schools sont donc capables de former des étudiants qu’elles n’ont jamais vu ! Voici l’immaculée conception du SUP avec les écoles de management en Vierge Marie et le fondateur de Challenges en Bernadette Soubirous ! Consternant propos, et consternant que Libération ouvre ses pages à de telles élucubrations.

Interpellé sur twitter par des collègues universitaires, le « directeur en charge des éditions » du Journal se disait d’abord prêt à publier une tribune en réponse. Une belle preuve d’indépendance et de neutralité de la part de celui dont le frère dirige la communication du premier ministre. Mais finalement au bout de 3 jours la rédaction de Libé, débordée, n’avait pas trouvé la minute nécessaire pour lire cette réponse de moins de 4000 caractères. Je vous aime bien Libé, mais sur ce coup, l'excuse n'était pas crédible. Quand on voit la longue, très longue tribune de M. Fauconnier, on se dit que soit un bon copain a voulu l'aider à rentrer dans ses frais pour son bouquin, soit que vous l'avez lue vite fait avant publication! Mais qu’à cela ne tienne, voici sur mon blog cette réponse que Libé n'a pas eu le temps de lire.



Non, le « macronisme » n’est pas un sous-produit des écoles de commerce…et tant mieux pour elles !


Dans une tribune parue sous le titre « Le macronisme sous-produit de nos écoles de commerce », Patrick Fauconnier, fondateur du magazine Challenges, tient des propos surréalistes sur l’enseignement supérieur en général et les universités en particulier accusées de provoquer le chômage, voire même de favoriser le populisme en les opposant aux écoles de commerce qui formeraient l’avant-garde éclairée de la mondialisation heureuse.

On peut s’étonner que le fondateur d’une publication économique, méprise autant les universités qui réunissent en leur sein les plus prestigieux professeurs d’économie et de gestion. On peut même s’inquiéter que M. Fauconnier s’accommode de fake-news et d’approximations (prétendre que le président Macron est un pur produit des Business Schools même s’il n’y a jamais étudié, « oublier » que M. Kohler a fait Science Po et l’ENA et le porte parole de LRM Sciences Po). Mais la transmission des savoirs étant l’ambition ultime des universitaires, nous nous emploierons plutôt à déjouer les préjugés de M. Fauconnier et à rafraichir ses connaissances.

Sans faire injure aux écoles de commerce, il y a une différence d’échelle avec les universités. Ces dernières accueillent plus de 60% des étudiants dans de multiples disciplines, les Business Schools moins de 5% sur un secteur particulier de formation[1]. En matière d’insertion, dans des disciplines comparables, les performances sont assez proches entre écoles et universités, les universités ayant même « une part d’emplois stables supérieure à celle des diplômés d’écoles » à en croire Challenges, le magazine fondé par M. Fauconnier[2].

À travers les programmes ERASMUS et leurs conventions, les universités sont un acteur majeur de mobilité à l’international et, là encore, sans manquer de respect aux écoles de management, on ne peut comparer l’apport pédagogique du semestre de mobilité qu’elles proposent généralement à leurs étudiants avec une ou plusieurs années d’études à l’étranger comme le font les universités ; les finalités ne sont pas les mêmes.

À trop réécrire un passé idéalisé au lieu de regarder l’avenir, M. Fauconnier se trompe sur l’essentiel : les Universités et Grandes Écoles ne s’opposent pas, elles sont complémentaires. Les étudiants l’ont bien compris qui sont nombreux à évoluer entre les bachelors des écoles et les masters des universités, les licences et DUT des universités et les masters GE, MS et Msc des Écoles[3].

Universités et écoles sont aussi partenaires, dans la recherche comme dans la formation, réunies au sein de laboratoires et d’écoles doctorales communes et proposent de plus en plus aux étudiants des doubles-diplômes « université/école » attractifs. La FNEGE qu’évoque M. Fauconnier est d’ailleurs un acteur de ces partenariats, elle qui se définit comme un « lieu d'échanges privilégié entre les Universités, les Instituts d'Administration des Entreprises (IAE), les Grandes Ecoles de Gestion et les entreprises ». À l’international, j’inviterais bien M. Fauconnier à découvrir l’Institut Franco-Chinois de l’université du Peuple de Pékin. Il y rencontrerait plus d’un millier d’étudiants français et chinois en formation dans une prestigieuse université chinoise et 3 établissements français, deux universités, Paris-IV Sorbonne et Paul Valéry Montpellier 3, et Kedge Business School, la Grande École de Bordeaux et Marseille, qui ont uni leurs compétences pour concevoir ce programme d’excellence.

Chaque modèle a ses mérites, chaque modèle a ses limites et si M. Fauconnier veut s’intéresser aux enjeux de l’enseignement supérieur, ils ne sont pas dans un conflit imaginé entre universités et grandes écoles. Les enjeux, c’est l’avenir d’un enseignement supérieur qui devient de plus en plus sélectif, à l’université comme dans les écoles, c’est répondre à la crise des financements que connaissent les universités mais aussi les écoles, c’est protéger les élèves contre les officines qui exploitent leurs angoisses et leur inquiétude dans l’avenir, c’est surtout penser le statut des jeunes dans la société et la contribution que l’enseignement supérieur dans son ensemble peut y apporter.

________________
[1] MESRI, DEPP-RERS, 2016, p. 154 

[2] Challenges, Les taux d'insertion des diplômés de l'université selon les spécialités, 22 avril 2016 


[3] CGE, Les voies d’accès aux Grandes Écoles de la CGE, enquête 2014.

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