lundi 19 octobre 2015

Contre l’augmentation des droits d’inscription




La chasse est ouverte ! Un « débat » à sens unique dans le Grand Établissement de Paris Dauphine co-organisé par les lobbies Terra Nova et Institut Montaigne sous le haut patronage de l’AEF, un livre de Bernard Ramanantsoa, ancien DG de HEC, des chroniques dans Educpros, des articles dans Le Monde, c’est comme si tous les tenants du néo-libéralisme s’étaient donnés le mot pour remettre à l’ordre du jour la question de l’augmentation des droits d’inscription. Je doute que cette accumulation doive quelque chose au hasard et les arguments sentent le réchauffé.



Une revendication idéologique



Nous avons déjà eu l’occasion de l’expliquer sur ce blog, l’augmentation des droits d’inscription est d’abord un postulat idéologique néo-libéral qui vise à transférer de l’entreprise vers l’étudiant et futur salarié le coût de la formation. Les partisans de cette idéologie considèrent que l’étudiant doit payer la plus-value salariale que ses études vont lui procurer durant sa carrière.

C’est le modèle du club de football où les clubs formateurs font payer les coûts de formation au sportif et aux clubs utilisateurs une fois la carrière lancée. Les coûts de formation assumés par l’étudiants sont alors financés par l’emprunt avec le risque de créer une bulle financière comme aux Etats-Unis. Pour réduire ce danger, ces pseudo-libéraux n’hésitent pas à proposer d’instaurer un paiement différé. La solution existe déjà en Australie avec le Higher Education Loan Programme. Dans ce cas c’est l’État, et donc au final l’impôt, qui couvre le risque d’impayé en lieu et place des entreprises ; un comble.

Pour d’autres c’est une approche « marketing » qui justifie l’augmentation des droits d’inscription. Il faudrait payer le « juste prix » de l’éducation. C’est l’argument du Iphone ou sa nouvelle version « la voiture d’occasion » : il n’est pas logique que l’étudiant paie moins pour ses études que pour son forfait de téléphone mobile. Le prix participant au positionnement de l’offre sur le marché, un prix trop bas donne une « valeur » trop faible au « produit » éducation. HEC, par exemple, qui recrute 380 étudiants pourrait facilement porter ses effectifs à 400 ou 500 sans que la qualité de la formation et l’insertion des étudiants n’en souffrent pour augmenter ses ressources. Mais, comme chez Hermès, il faut entretenir la rareté du produit pour le positionner sur un segment du luxe.

On pourrait répondre à cette vision marketing des droits d’inscription par une boutade : à 14,99€ le forfait de base « l’argument du Iphone » a perdu de sa pertinence. L’étudiant paie plus pour sa licence ou son master que pour son mobile. Quant à la version plus récente de « la voiture d’occasion », on trouve des voitures d’occasion à partir de 1000 € et à 5000 €, coût estimé d’un master, on est déjà dans une confortable berline.

Plus sérieusement, l’influence de l’idéologie néo-libérale qui entend remettre en cause la notion de Service Public est évidente. À l’université, les droits d’inscription ne sont pas un « prix ». Ils ne correspondent ni au coût, ni à la valeur du « produit ». Ils constituent la contribution de l’usager à l’utilisation d’un service dont l’intérêt public justifie qu’il soit financé par la collectivité, donc par l’impôt.

Si un débat doit avoir lieu à propos des droits d’inscription, il devrait porter sur deux questions. La première est celle du curseur entre la contribution individuelle au service public et la solidarité nationale. Certes, on peut considérer que les étudiants doivent payer plus en raison du bénéfice individuel que leur apporte leur formation. Mais on peut aussi considérer que l’élévation du niveau d’éducation enrichit la Nation. Dans ce cas, il est logique que l’impôt finance massivement l’enseignement supérieur.

Une deuxième question mériterait d’être débattue, celle du financement des établissements supérieurs d’enseignement privé et, en particulier, des écoles accréditées ou dont les diplômes sont « visés » par le Ministère de l’enseignement supérieur. Ces établissements d’enseignement supérieur ne bénéficient pas tous d’une dotation pour charges de service public. Ils facturent alors aux étudiants un « prix » qui correspond aux « coûts » de la formation. On peut légitimement se demander pourquoi les étudiants de ces écoles ne bénéficieraient pas aussi de la solidarité financière de la Nation.

C’est là que le débat économique vient soutenir les revendications idéologiques. Le constat serait « unanime » selon Le Monde : « l’État n’ira guère au-delà des 23 milliards d’euros qu’il consacre chaque année à l’enseignement supérieur ». Ce que l’on donne à l’un serait donc pris à l’autre.

Les contradictions économiques


Le problème du financement de l’enseignement supérieur est une réalité indiscutable, mais il est d’abord la conséquence d’un choix politique : l’explosion des effectifs dans l’enseignement supérieur ces trente dernières années. On rappellera ici qu’il y avait 852.837 étudiants à l’université en 1980 ; il y en avait 1.531.279 l’année dernière. Et les universités ne sont pas les seules concernées ; les écoles de commerce formaient 15.824 étudiants en 1980, elles en ont accueilli 134.329 en 2014. Cette augmentation massive des effectifs a un coût pour la collectivité qui a fait le choix d’élever le niveau de formation de la population. Il serait pour le moins contradictoire de faire financer par les étudiants l’élévation globale du niveau de formation de la population.

Et le débat sur les droits d’inscription masque une autre contradiction : un nombre croissant d’étudiants boursiers est dispensé de tout paiement. En 1999, Claude Allègre a même créé le taux « 0 » dont le seul bénéfice était de dispenser les étudiants du paiement des droits d’inscription à l’université et de la sécurité sociale. Depuis les seuils de déclenchement ont été abaissés avec la création du taux « Obis ». Faut-il que les autres étudiants paient plus pour que cela paient moins ? Peut-être, mais il faut alors assumer cet effet redistributif.

Plus encore, cette exonération a été financée sur le budget des universités. Geneviève Fioraso s’était engagée à compenser progressivement le manque à gagner, mais les rumeurs récentes laissent à penser que le nouveau secrétaire d’État abandonnerait cette promesse. Or il y a une grande disparité entre les établissements dans l’accueil des boursiers.

En moyenne, il y avait 34,9% de boursiers à l’université en 2013/2014 contre 27,7% en CPGE, mais ces chiffres généraux cachent des écarts considérables (DEPP_RERS, p. 354). A titre d’exemple, selon l’AERES, il y avait à peine 10% de boursiers à Paris-Dauphine en 2008, ( rapport, p. 14)  un chiffre en très légère augmentation ces dernières années (15,6 % selon l’Étudiant). L’université Paris Descartes accueille, elle, 23% de boursiers et, dans mon université, près de la moitié des primo-entrants étaient boursiers. Dans les grandes écoles également les disparités sont importantes, même si la Conférence des Grandes Écoles souligne avec raison que plus de la moitié des écoles membres affiche un taux de boursiers supérieur à 30%.

Augmenter les droits d’inscription dans ce contexte c’est augmenter le manque à gagner pour les établissements qui accueillent le plus de boursiers et creuser encore les inégalités entre les établissements les mieux dotés et ceux qui le sont moins.

Conservatisme et corporatisme


L’augmentation des droits d’inscription n’est pas inéluctable. Pire : elle est nocive. Elle cache à bon compte un réflexe corporatiste de certains lobbies soucieux de leurs privilèges. Ces néo-libéraux qui revendiquent « rupture » ou « innovation », qui dénoncent à grands cris les « corporatismes » et affirment qu’il faut « bouger les lignes », « lever les pesanteurs » et j’en passe, les mêmes donc se cramponnent comme la moule sur son rocher aux avantages qu’ils ont acquis en refusant toute remise en cause de leurs privilèges.

Or on le sait déjà : l’augmentation des droits d’inscription ne résout aucun des problèmes de l’enseignement supérieur et de la recherche. L’augmentation des droits d’inscriptions dans des pays comme les Etats-Unis n’a pas augmenté les moyens des universités : elle a augmenté les coûts.

Augmenter les droits d’inscription c’est une solution de confort pour ceux qui veulent préserver leurs acquis et refusent toute révolution des pratiques. Des moyens existent, des économies peuvent être faites ; il faut mobiliser ces moyens et réaliser ces économies.

Il est presque comique de lire M. Ramanantsoa, ancien DG de la plus prestigieuse Business School du monde, ou M. Belloc, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, ces rois du Management donc, ces chantres de « l’efficience » expliquer que l’augmentation des droits d’inscription est la seule solution ! Je ne suis certes pas DG de la plus prestigieuse Business School du monde, ni conseiller du président de la République, mais en tant que simple vice-président d’une université de Lettres, Langues, Arts, Sciences Humaines et Sociales, je peux dire à M. Ramanantsoa ou à M. Belloc qu’il y a d’autres actions à entreprendre avant d’augmenter les droits d’inscription !

Ces messieurs pourraient d’abord réfléchir à un meilleur usage des deniers publics et, par exemple, à ce que la France gagnerait à supprimer le Crédit Impôt Recherche et ses 5,5 milliards d’avantages fiscaux indus aux entreprises. Quand un dispositif génère presque 25% de frais d'intermédiation on est en droit de s’interroger sur son « efficience » (cf. notes personnelles sur le CIR de Mme la sénatrice Gonthier-Maurin, p. 19).

M. Ramanantsoa aurait pu aussi s’interroger, en 2006 déjà, sur l’intérêt qu’il y avait à consacrer 10% du budget d’une Business School à la publicité et à acheter pour 2 millions d’euros d’annonces dans la presse quand, en moyenne, les grands groupes industriels y consacrent 1 à 2% de leur budget, 10% dans le secteur de la cosmétique selon l'INSEE. Je doute que cette stratégie explique les recrutements internationaux de HEC et je poserais bien pour conclure une question impertinente à l'ancien directeur de la plus prestigieuse Business School du monde : est-il vraiment plus difficile de promouvoir les diplômes d’HEC qu’un gel-douche Obao ?

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