jeudi 3 septembre 2015

Sélection en Master 2 Un problème juridique, pédagogique et politique

Un été agité ! Après le débat sur l’augmentation des droits d’inscription, c’est la question de la sélection en Master 2 qui est posée avec la multiplication des procédures contre les universités en cette fin d'été. Cette sélection pose un triple problème, juridique, pédagogique et politique.

Juridiquement il y a urgence. Au Sud de la Loire, la sélection est refusée ; au Nord, elle est admise. On se croit revenu au temps des pays de Coutume. En « Information-Communication » ou en « Management, marketing et TIC » point de sélection, en « Droit public- Droit des contrats » ou « Mathématiques – modélisation aléatoires » va pour la sélection ! Le tout en référé, c’est-à-dire de façon provisoire.

Des étudiants vont donc commencer des formations, ou en être écartés, avec le risque dans quelques mois d’être exclus, ou au contraire réintégrés. Avec quelles chances de réussite ? D’autres étudiants, en liste d’attente, ne seront pas appelés mais pourront, comme tous ceux qui n’ont pas été retenus, engager à leur tour des procédures en référé pour s’inscrire en cours d’année. Un contentieux de masse qui peut exploser dans les semaines ou les mois qui viennent. Pour toute réponse, les ministres concernés font de vagues annonces destinées à minorer la difficulté en affirmant qu’il s’agit d’un épiphénomène qui ne touche que certaines universités et certaines disciplines, management, droit et psychologie. La réalité est que toutes les disciplines sont concernées (dans mon université, Arts, LEA, Psycho, AES, Géographie-Environnement…) et toutes les universités le seront.


D’un strict point de vue juridique la règle est pourtant simple. L’article L.612-6 du code de l’éducation qui est au cœur des discussions dispose : « L'admission dans les formations du deuxième cycle est ouverte à tous les titulaires des diplômes sanctionnant les études de premier cycle ». C’est donc seulement la question de l’entrée en première année de master qui est réglée par ce texte et qui est « de droit » pour les titulaires d’un diplôme de premier cycle, sauf décret instaurant des capacités d’accueil. Aucun décret n’ayant été publié, il n’y a pas de capacités d’accueil en M1 et donc aucune sélection possible à l’entrée en première année de master. En revanche ce texte ne dit rien de la seconde année de master et il revient aux universités, dans le cadre de leur autonomie pédagogique, de déterminer les conditions d’entrée en M2.

Mais être avocat c’est aussi être capable de construire une histoire et d’exploiter les faiblesses du contradicteur. Cela fait maintenant plusieurs années que je dénonce l’incompétence juridique du ministère de l’enseignement supérieur, une incompétence qui s’est encore accrue depuis le ministère de Mme Fioraso. Et force est de constater que Maître Verdier, à l’origine d’une grande partie des recours, est un brillant conteur qui a su emporter la conviction de certains juges administratifs peu familiers des universités.

Son histoire est publiée sur son site internet et peut se résumer ainsi : depuis l’entrée en vigueur du funeste processus de Bologne les études supérieures sont organisées en 3 cycles, licence, master et doctorat. L’entrée dans le cycle supérieur est de droit pour celui qui a acquis les Crédits Européens du cycle précédent. Un cycle est un continuum pédagogique et les universités ne peuvent l’interrompre ou organiser une sélection en cours de cycle, donc la sélection en M2 est illégale, « Ossabandus, nequeis, nequer, potarinum, quipsa, milus. Voilà justement ce qui fait que votre fille est muette » (non cette dernière partie n’est pas de Maître Verdier mais de Molière, Le Médecin malgré lui, acte 2, scène 4).

Une bien belle histoire en effet, mais une histoire. Le décret 2002-482 qu’évoque Maître Verdier ? Abrogé et seulement partiellement repris dans le Code de l’éducation. Les cycles ? Ils sont bien mentionnés par l’article L.612-1 du Code de l’éducation, mais sans lien avec les diplômes. La LRU qui aurait, toujours selon l’avocat, « inclus la Licence au sein du premier cycle de formation universitaire et le Master au sein du deuxième cycle » ? Ah la subtile omission de maître Verdier qui oublie de préciser que le texte en question (art. 35 codifié à l’article L612-1 al.2 du code de l’éducation) concerne les « grades » de licence ou de master, pas les « diplômes » !

Et oui, le législateur, pour faire plaisir à tout le monde, a baptisé du même nom les « grades » et certains « diplômes ». Le « grade » de master correspond à un Bac+5. Le « diplôme » de master donne le « grade » de master, mais les diplômes des Grandes Écoles de commerce ou des Écoles d’ingénieurs aussi ! Alors oui le « grade » de master est conféré dans le cadre du deuxième cycle et le « diplôme » de master comme d’autres « diplômes » donne le « grade » de master, mais je mets au défi Maître Verdier de présenter un texte affirmant que le diplôme de master est dans le deuxième cycle.

Et Maître Verdier va plus loin et imagine un droit qui manifestement plait plus à certains juges que le droit positif. Il affirme que « L'arrêté du 22 janvier 2014 qui fixe le cadre national du diplôme de Master l'a confirmé. Le cycle master est organisé en 4 semestres, non en 2 semestres + 2 en option (ou sous conditions), mais 4 au total ». Pure invention. L’arrêté du 22 janvier 2014 parle bien de « cycle » ou de « semestres » pour la licence et la licence professionnelle mais pas pour le master ! Là encore, je mets Maître Verdier au défi de présenter l’article de l’arrêté du 22 janvier 2014 mentionnant un « cycle de master » organisé « en 4 semestres »…

Toute l’intelligence de l’avocat est là, pointer la maladresse du législateur, la complexité des textes puis compléter, réécrire au besoin, pour affirmer, alors qu’aucun texte ne le prévoit, que les universités n’étant pas autorisées à sélectionner en M1 ne le sont pas non plus pour sélectionner en M2.

J’arrête là. Maître Verdier n’est pas à blâmer ; au contraire. Sa construction est brillante et il ne fait qu’exploiter la médiocrité de la réforme LMD à la française. Et s’il a pu emporter la conviction de certains juges un peu perdus, le ministère en porte l’entière responsabilité et la raison en est très certainement autant pédagogique que juridique.

Car le deuxième problème posé par la sélection en master 2 est pédagogique. Les juges, comme les étudiants, ne comprennent pas que l’on puisse commencer un master et que l’on ne soit pas autorisé à poursuivre en seconde année. Ils oublient d’abord que l’étudiant a un diplôme à la fin du M1 : la maîtrise. Les universités continuent en effet, sur demande de l’étudiant, à délivrer la maîtrise.

Ensuite, la sélection en master 2 est tout simplement une nécessité pédagogique. Les collègues ne sélectionnent pas par plaisir mais par nécessité. Le master 2 est une spécialisation qu’il n’est pas possible de développer pour un nombre illimité d’étudiants. Lorsque mon université organise dans le cadre de son master en Ressources Humaines une partie de la formation en Chine avec des conférences, des visites d’entreprises, il n’est pas possible matériellement de l’assumer pour des centaines d’étudiants. Lorsque des collègues élaborent un master à dominante « recherche » pour préparer les étudiants au doctorat, inscrire des étudiants qui n’ont pas de projet de recherche qui ne trouveront pas de directeur de recherche et qui ne pourront pas faire une thèse n’a aucun sens. Et dans les masters plus orientés sur l’insertion professionnelle directe, doit-on former 10 fois, 100 fois plus d’étudiants qu’il n’y a de potentiel d’emplois sur le secteur ?

Il y a une évidence que tout le monde doit accepter : les masters sont des formations d’excellence qui ne peuvent être dispensées qu’à un nombre limité d’étudiants. La question devient alors politique.

Elle illustre une nouvelle fois le désastre du processus de Bologne, un désastre que la réforme des masters introduite par Geneviève Fioraso en 2014 n’a fait que renforcer avec la suppression des « spécialités », claires et précises pour les entreprises comme pour les scientifiques, au profit des « domaines », inutiles, des « mentions », trop générales, et des « parcours », honteusement cachés dans un « supplément au diplôme » qui souligne, jusqu’au ridicule, la complexité du dispositif. Songez que, pour les études linguistiques, il a fallu se battre pour que le ministère accepte d’indiquer quelle langue étrangère l’étudiant avait pratiqué ! Rue Descartes on était prêt à créer des masters « Langues » ou « Langues étrangères » sans préciser « anglais », « russe », « allemand »… et l’on nous parle de simplification pour une meilleure employabilité !

La réalité est que tous les ministres qui se sont succédé depuis Valérie Pécresse ont cherché par tous les moyens à limiter le nombre (et le financement) des masters. Alors que le nombre d’étudiants augmente, que l’excellence des masters est reconnue par tous et valorisée sur le marché du travail, cette stratégie est intenable.  On ne peut pas former correctement plus d’étudiants dans les masters 2 existants, mais on peut changer la politique du gouvernement et créer plus de master 2 si les financements suivent. Il faudra des moyens considérables car la demande se chiffre par centaines d’étudiants dans chaque université : potentiellement plus de 400 pour mon université par exemple.

Il y a une autre alternative politique, c’est d’instaurer la sélection à l’entrée du master, en M1. C’est la logique économique, comptable, celle du processus de Bologne, je ne suis pas certain que ce soit la meilleure. Nous continuons de fonctionner sur la dualité entre système français, avec la maîtrise, et système « européen » avec le master. C’est là l’origine de la sélection en M2, les anciens DEA et DESS, et c’est bien ce que plusieurs magistrats ont reproché aux universités. Que le gouvernement clarifie les choses et abandonne les diplômes nationaux au profit des masters européens en instaurant la sélection à l’entrée.

Enfin il y a le plus probable, la démagogie du statu quo, qui obligera les universités à faire la sélection par le diplôme de licence en ne délivrant la licence qu’aux étudiants susceptibles de continuer en master ; certains présidents proposent déjà d'aller dans ce sens. Il y a l’autre possible, l’hypocrisie d’une réforme qui laissera des « parcours » de master 2 sélectifs complétés par d’autres non sélectifs ; des « parcours de secours » pour les recalés de la sélection. Tous les étudiants seront donc inscrits dans le même « master » de « second cycle » donnant le « grade » de master comme le souhaite Maître Verdier et certains magistrats. C’est possible, c’est légal, c’est inattaquable devant les tribunaux. Et comme les deux populations d’étudiants seront susceptibles d’avoir le même master, pour ne pas dévaloriser le parcours sélectif, le niveau d’exigence dans le « parcours de secours » sera poussé à son maximum. Tous les étudiants seront inscrits, et tous échoueront.


Je ne fais pas de la politique fiction, je vois se dessiner les stratégies des établissements. Cela fait des années que les collègues ont appris à ne plus compter sur l’État et sur le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche pour défendre les universités et leur excellence scientifique. Ils les défendront.

1 commentaire:

  1. C'est encore plus affligeant que je ne l'imaginais ! Bravo, cher juriste !

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