dimanche 25 août 2013

Enseignement supérieur : le point de vue d’Albert - billet d'humeur


Mes séjours en Normandie sont l’occasion de retrouver Albert et de discuter avec lui.

Albert exploite la ferme à côté de la maison. Oh il n’a pas fait d’études, Albert ; il était berger. Il a toujours aimé les moutons. Quand j’étais enfant, il avait une vieille roulotte et, pendant 2 mois, il vivait là en autarcie avec ses moutons. Les troupeaux comme ça maintenant, ça ne se fait plus, mais il a tout de même gardé des moutons Albert ; pour le plaisir.

Je l’apprécie beaucoup. D’abord, derrière un abord bougon un peu franchouillard et des bacchantes comme on n’en fait plus, c’est un bon vivant et un optimiste forcené. Et puis il m'apprend plein de choses que je ne sais pas et il a ce bon sens paysan qui est bien utile.

Certes, il n’y connaît rien à l’enseignement supérieur, mais il ne prétend pas y connaître grand chose non plus. Et quand je vois la qualité de l’analyse développée depuis plusieurs années par la trentaine d'« experts », d'« inspecteurs » ou d'« auditeurs » qui grenouillent autour des gouvernements successifs et font les articles de la presse pour vendre leur «modèle » de l’université de demain, quand je vois les résultats de leurs conseils éclairés, je me dis que le point de vue d’Albert sur l’enseignement supérieur est tout aussi instructif. Au moins, ce qu’il me disait en 2007 n’aurait pas mis en faillite la moitié des universités françaises en 5 ans.

Certains penseront que je suis excessif et que je caricature parce que je suis hostile à «l'évolution nécessaire de l'enseignement supérieur » que conseillent ces « experts ». Alors, prenons un exemple ! Je pourrais évoquer STRATER, mais je prévois de lui consacrer une chronique spécifique. Je pourrais aussi prendre les évaluations de l’AERES, celle de l’université de Strasbourg notamment, mais on ne tire pas sur une ambulance. Choisissons, au hasard, un truc facile à évaluer comme l’évolution des effectifs étudiants.


C’est assez simple à prévoir ça, l’évolution des effectifs étudiants. On a les tendances démographiques, on connaît le nombre d’élèves qui vont entrer en seconde au Lycée, on connaît assez bien les taux de réussite au baccalauréat et l’offre de formation dans le supérieur. Nos « experts » de l’enseignement supérieur disposent donc d’outils assez précis pour se faire une idée à 4 ans et même à 10 ans de l’évolution des effectifs. Que prévoyaient-ils donc, il y a 4 ans, ces spécialistes ?

Eh bien, en novembre 2008, ils annonçaient une baisse « tendancielle » (j'adore la novlangue!) des effectifs entre 2008 et 2017. Les universités, « peu attractives », allaient perdre sur 10 ans 22,1% de leurs effectifs dans les « disciplines générales hors santé », les Lettres et Sciences Humaines allant jusqu'à perdre, respectivement, 31,7% et 31,9 % de leurs étudiants (MESR, note d’information n°08-32, p. 5) !

Bien entendu, on les a écoutés à l’époque. La Chambre régionale des comptes du Languedoc-Roussillon s’est même appuyée sur cette analyse pour évaluer la stratégie de mon université. Et puis les gouvernements, bien sûr ! Pourquoi rajouter de l’argent dans la formation des étudiants et pourquoi créer des postes puisque les effectifs allaient diminuer pendant 10 ans ?

Et 4 ans plus tard ? Le constat est sans appel: les effectifs universitaires ont ... augmenté et les mêmes « experts » prévoient que sur 10 ans les universités devront faire face non plus à une baisse de 22,1% de leurs effectifs mais à une hausse de 11% (+9,4% pour les Lettres) (MESR, note d’information n°12.12, p.5) ! Ils vont avoir l’air malins maintenant à la Chambre régionale des comptes…

Vous me direz que tout le monde peut se tromper ; certes. Mais tout de même ! Comment nos « experts » d'aujourd'hui expliquent-ils l'augmentation des effectifs étudiants? Par l’augmentation du nombre de bacheliers professionnels et par « l'arrivée au baccalauréat des générations particulièrement nombreuses nées en 2000 et 2001 ». Mais elles étaient déjà nées en 2008 ces « générations particulièrement nombreuses ». Pourquoi ne pas en avoir tenu compte à l’époque ?

Vous me direz encore que tous les experts ne se trompent pas ; c’est vrai. Il y en a même qui ne se trompent jamais, des économistes en particulier, soucieux de se conformer à la définition que les américains attribuent à Laurence Peter (celui du « principe de Peter ») : « An economist is an expert who will know tomorrow why the things he predicted yesterday didn't happen today ».

On pense ici à Philippe Aghion, le griot des oxymores politico-économiques, capable de justifier ses parti-pris idéologiques en disant tout et son contraire. Il suffit d’inventer un concept fourre-tout, en l’espèce « l’État stratège », pour pouvoir dire que l’État doit se désengager des universités et les rendre autonomes tout en insistant pour que ces universités bénéficient d’un investissement public massif de l’État. C’est un peu comme l’horoscope dans Marie-Claire ; avec de telles analyses on n’a jamais tout à fait raison, on est certain de ne pas avoir complètement tort, et tout le monde y croit, un peu honteux.

Et puis d’ailleurs il n’est pas nécessaire d’avoir fait la preuve de ses compétences pour être « expert », « inspecteur » ou « auditeur » de l’enseignement supérieur. On peut même devenir conseiller spécial d’un ministre ou juger du management des universités tout en ayant fait la démonstration de son incapacité à structurer un établissement public et à en assurer le management (voir ce rapport thématique de la cours des comptes de 2011 p.52).

Alors, avec Albert, on parle du chevreuil qui vient s’abreuver dans la mare le matin, de la moisson (la qualité est décevante cette année, le grain est humide) et puis on parle politique et moi, je parle de ma ministre : « tu sais », je lui dis à Albert, « la ministre de l’enseignement supérieur ». « Valérie Pécresse » qu’il me répond Albert…

Et non ! Ce n’est plus Valérie Pécresse, mais on peut confondre, en effet, car on peine à faire la différence sur le plan des orientations politiques d'autant que les deux ministres s'appuient sur les mêmes « experts », « inspecteurs » et « auditeurs ». Ensuite c'est une question de notoriété et d'envergure politique.

« Non » je lui réponds, « c’est Geneviève Fioraso » ; « Ah oui ! Je l’ai vu à la télé ! Mais elle y connaît rien ! Quand elle parle, elle ne sait même pas ce qu’elle va dire ». Quand je vous disais que le  bon sens paysan, ça vaut peut-être bien mieux que les expertises savantes.

Bonne rentrée.

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