vendredi 4 août 2017

Compatibilité Licence & Master : la Loi sans l’Esprit



Et soudain au cœur de l’été le ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation est sorti de sa torpeur. Au JO du jour est publié un arrêté « fixant la liste des compatibilités des mentions du diplôme national de licence avec les mentions du diplôme national de master ». Rien que ça ! A voir les premières réactions sur les réseaux sociaux, les présidents étaient peut-être informés, mais certainement pas les équipes pédagogiques.

Après le coup des APL, on devrait interdire aux ministères de sortir des textes pendant l’été. Montesquieu vantait l’Esprit des Lois, avec la DGESIP c’est la Loi sans l’Esprit. Dès la première lecture les incohérences sautent aux yeux. Je découvre que le master Intervention et Développement Social dans lequel j’enseigne en AES… n’est pas compatible avec la licence AES. Chouette, les cours commencent dans 4 semaines ! Ça fait pourtant plus de 20 ans que c’est une « filière » puis un « parcours » de l’AES avant de devenir une "mention"… En revanche on pourra s'orienter vers ce master avec une licence Sciences sanitaires et sociales, licence qui ne permet plus de poursuivre en master de géographie « Santé et territoire » par contre. Sauf que pour l’instant la licence sciences sanitaires et sociales est associée au master de géographie dans mon université. Si l’arrêté n’est pas corrigé, ce sont 3 UFR dont il faut redéfinir les périmètres avant la rentrée (avec des votes statutaires des conseils de composantes et des conseils centraux).
Et ce n’est pas le seul problème, loin de là. Au réveil les collègues m’ont signalé que la licence en droit n’ouvre plus sur les finances publiques, la licence de mathématiques ne permet plus de faire de l’astronomie, on peut faire un master d’électronique avec une licence d’informatique, mais pas un master d’informatique avec une licence d’électronique.

Au-delà de ces erreurs factuelles, cet arrêté est riche d’enseignements. Sur l’état de décomposition du ministère tout d’abord. Il faut lire la signature de l’arrêté : la ministre est absente, il n’y a pas de Directeur de l’enseignement supérieur, un « chargé de fonction » assure l’intérim mais il est « empêché ». Finalement c’est un chef de service qui signe le texte au JO. On attend pour bientôt l’arrêté signé par Maxime, vacataire pour l’été rue Descartes. Et en plus c’est lui qui va se prendre une volée de bois vert au retour des congés !

Ensuite, et c’est plus intéressant, cet arrêté souligne l’extrême complexité introduite par la « simplification » voulue par Fioraso et les partisans de la LRU qui siégeaient dans les comités Licence et Master quand ils ont supprimé les « spécialités ». Nous l’avons déjà écrit, cette prétendue simplification a imposé des intitulés nationaux de mentions trop généraux, faisant perdre la lisibilité et la cohérence professionnelle de nombreux masters. Nous avions à l’époque pris l’exemple des intitulés des masters de « Langues » qui ne précisent même plus si l’étudiant a suivi une formation en anglais en russe ou en portugais! On le voit aujourd’hui. Lorsque la DGESIP s’essaie à un tableau de correspondances entre licences et masters soit elle vise trop court et oublie des formations, soit elle vise trop long et vide l’intitulé du master de toute cohérence.

Ainsi, à en croire l’arrêté, on peut faire un master en RH avec une licence Administration Publique, une licence en Droit, en Gestion, en économie-gestion, en AES, en sociologie en psychologie, voire en économie ! Le master en Santé Publique fait plus fort encore puisqu’il couvre les domaines SHS, sciences et techniques et Santé. On peut y accéder avec une licence en informatique, en mathématiques, en sciences sanitaires et sociales, en sociologie, en psychologie, ou en sciences pour la santé ! Pour le master Études européennes et internationales ce sont pas moins de 11 licences qui sont mises en correspondance : licence en Droit, économie, économie et gestion, science politique, histoire, géographie aménagement, sociologie, sciences de l’homme, anthropologie ethnologie, LLCER (Langues, littératures et civilisations étrangères et régionales), LEA. Et je peux continuer avec le master « études sur le genre » : licence de science politique, Humanités, histoire, géographie et aménagement, sociologie, psychologie, sciences de l’éducation, philosophie, sciences sociales, sciences de l’homme, anthropologie, ethnologie, lettres…

Bien entendu ces masters aux intitulés identiques n’ont pas un contenu identique. Un master sur le genre ouvert aux étudiants de Lettres n’a pas le même contenu qu’un master sur le genre ouvert en géographie. La spécialité permettait de préciser la réalité de la formation de l’étudiant, elle était identifiée dans le monde professionnel et pour des raisons absurdes on a détruit cette lisibilité.

Quelle est la portée de ce texte ? L’arrêté est pris au visa de l’article R612-36-2 du code de l’éducation, c’est à dire le fameux « droit à poursuite d’études » en master que les recteurs doivent assurer. Il n’aurait pas un caractère impératif nous dit-on, mais constituerait seulement « une aide à la préparation » des propositions du recteur. La précision était indispensable pour garantir la légalité de l’arrêté puisqu'il restreint le choix de l’étudiant alors que la loi ne prévoit pas de prérequis pour l’accès en master : l’étudiants peut postuler dans le master « de son choix ». Sauf que si lesdites propositions n’ont rien à voir avec l’offre de formation existante on ne voit pas bien la cohérence du droit à la poursuite d'études tant vanté par les ministres!
Les vacances vont être courtes...

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