dimanche 21 mai 2017

Après l'autonomie de Sarkozy, l'expérimentation de Macron

Le casting était presque parfait. Une présidente d’université ministre de plein exercice à l’ESR qui récupère l’innovation et un DG de business school à l’Éducation. De la dentelle !

Puis les premières déclarations sont arrivées. LA ministre est « pragmatique » et regardera « avec bienveillance les expérimentations » selon Educpros. Pour LE ministre « L'expérimentation aura un rôle décisif » et il lancera « des concertations locales et des expérimentations » dans Le Monde. Foin des réformes top down, de la LRU, de la loi Fioraso, vive le bottom up, le pragmatisme et l’expérimentation ! 

Qui est contre le pragmatisme hein ? C’est comme l’autonomie le pragmatisme, c’est bien le pragmatisme, c’est le contraire du dogmatisme ! Et l’expérimentation ? Quoi de plus modeste et de plus respectueux que l’expérimentation ? C’est facultatif l’expérimentation, ça ne vous engage à rien l’expérimentation, c’est comme ce vieux tube du groupe Chagrin d’amour l’expérimentation « chacun fait c’qui lui plaît » ! C’est la LIBERTÉ !


Seulement voilà, cette novlangue a un air de déjà vu. Elles fait écho aux Macronleaks, vous savez ces documents qui sont faux puisque En Marche l’a dit, ces documents qui n’apportent rien comme nous l’expliquent de grands journaux, ces documents qui, justement, expliquent que l’expérimentation est la méthode qui permettra d’achever en douce et sans opposition les universités. 

Dans les Macronleaks, il y a ce courrier du 23 janvier 2017 d’un ancien président d’université, recteur et conseiller occasionnel de « EM » adressé à un autre courtisan qui insiste pour « expérimenter… de la maternelle à la fin du lycée intégré ! ». Il y a cet autre courrier du 3 février 2017 d’un autre président qui aspire à de plus hautes fonctions : « Dire : On autorise les universités qui le souhaitent à recruter et à promouvoir selon des procédures aux standards internationaux, sans passer par le CNU ». Et encore cet autre du 15 février 2017 d’un membre du CGI : « Ces nouveaux modèles pourront être proposés par les acteurs eux-mêmes pour mieux s'adapter aux configurations spécifiques ; ils offriront plus de latitude dans la composition des instances dirigeantes et pour ajuster centralité et subsidiarité ».

Et puis il y avait aussi cette note du 16 novembre 2016 pour « EM » de Robert Gary Bobo, Professeur d’économie à l’ENSAE. Il faut la lire en entier cette note où la suffisance et les préjugés le disputent à la méconnaissance de l’ESR et de ses enjeux. Elle a été publiée par le Groupe Jean Pierre Vernant en note 17 de leur dernière chronique : « 2B Réforme de la gouvernance : rien d’obligatoire. Permettre aux établissements d’opter pour un nouveau système / Le maître mot ici est la liberté d’option ». « On ne forcera pas les universités à se réformer : on proposera à celles qui le souhaitent (en manifestant éventuellement ce souhait par un vote) de se doter de nouvelles institutions ». Et, après avoir critiqué l’UNEF, le SNESUP, les enseignants-chercheurs et les IATOSS et insisté sur la nécessité de leur retirer tout pouvoir de pilotage de « l’excellence », l’auteur conclut : « Lorsque le mouvement sera engagé les facs réfractaires voudront aussi se doter des nouvelles institutions pour ne pas louper le coche. Mais cela prendra du temps – le temps que ces gens se disputent entre eux et règlent leurs comptes ».

Les paroles ministérielles se retrouvent aussi dans d’autres documents plus récents comme ce courrier de la CURIF, la Coordination des Universités de Recherche autoproclamées, dont LA ministre est destinataire. La CURIF qui, non sans hypocrisie, affirme sa solidarité avec la CPU mais prend rendez-vous dans son dos avec l’équipe EM pour défendre ses intérêts au détriment des autres établissements. On y évoque « l’expérimentation différenciante » que réclame cette dizaine d’universités. Il y est question de « toucher… le recrutement et la gestion des carrières des fonctionnaires » de « discussion directe avec Bercy » de « placement », « d’accès à l’emprunt ».

Et c’est là que les Macronleaks deviennent un enjeu politique majeur. Ils décrivent une forme de coup d’État, la façon dont un groupuscule ultra-minoritaire manoeuvre pour imposer son point de vue et ses intérêts à la majorité. Une cartographie très bien faite de ces réseaux a été dressée à partir de ces documents et publiée sur twitter par Alphoenix. Elle illustre cette chronique. On y trouve un directeur de France Stratégie, un président de COMUE, un recteur, un responsable du CGI qui pratiquent sans complexe le mélange des genres.

La méthode sera donc celle de « l’expérimentation ». C’est un vieux truc de minoritaire, le coup de l’expérimentation. C’est comme ça que sont nées Dauphine ou, plus modestement, Nîmes.

La majorité est hostile à ces propositions politiques ? Qu’à cela ne tienne ! On choisit des candidats godillots à la députation auxquels on fournit un argumentaire clé en main géré par une boite de pub. On les intègre à un groupe parlementaire organisé comme une PME dont ils sont les salariés et on leur fait voter des ordonnances. Pour l’ESR ce sera même plus simple.

Le droit du travail sera modifié par ordonnances ? Celui de l’ESR le sera par décret puisqu'une ordonnance a déjà été prise en 2014! On  transformera quelques « universités d’excellence » en Grands Établissements. Et par décret on pourra déroger à la gouvernance, aux règles de représentation dans les conseils, aux pouvoirs du président sur les personnels. Ces nouvelles universités pourront même écarter tout contrôle du recteur, de l’IGAENR ou de l’IGF !

Bien entendu ces grands établissements pourront sélectionner dans des « Bachelors » dont les droits d’inscription seront plus élevés mais qui donneront le « grade » de licence… Le CNESER grincera bien un peu ; on enverra le nouveau DGESIP subir quelques heures les foudres syndicales et on passera à la suite. Ce n’est pas une « expérimentation » ça, c’est un changement de paradigme. Après tout pourquoi pas, mais il faut l’assumer et ne pas confisquer le débat démocratique.

Et qu’on ne vienne pas me parler de Liberté ou je rappellerai les termes de l’article 4 de la DDHC : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui ». Là clairement, cette « Liberté » de quelques-uns déjà fort bien lotis se fera au détriment de la « Liberté » de ceux qui ont le moins. Et dans 10 ans l'ESR français sera à genoux, perclus de dettes, ruiné. Il restera à ceux qui auront profité du système à expliquer que c'est la faute des acteurs qui ne se sont pas appropriés la réforme.

2 commentaires:

  1. Ca fait un peu procès d'intention votre billet. Moi j'ai été élève à l'université il y a hem 20 ans, et aussi l'an dernier et cette année, et je trouve que ce qui est attendu des élèves de nos jours est hallucinant. Même avec une cuture solide et un travail sérieux on va à l'échec et on finit l'année sur les rotules... On peut après s'étonner du nombre de décrocheurs, ou alors essayer de voir comment améliorer la situation. Non ?

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  2. Bonsoir,
    J'avoue ne pas bien saisir le lien avec cette chronique, mais s'agissant de votre remarque je vous renvoie à ma chronique "candidature": http://lesupenmaintenance.blogspot.fr/2017/05/si-jetais-ministre-de-lesr-candidature.html
    Je soulignais la nécessité de s'assurer que les étudiants sont préparés aux études universitaires.
    Cordialement
    Y.

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