dimanche 27 septembre 2015

Universités : Fin de partie

« J’emploie les mots que tu m’as appris.
S’ils ne veulent plus rien dire apprends m’en d’autres.
Ou laisse-moi me taire.»
Samuel Beckett

Les méthodes de la communication politique sont toujours les mêmes. Pour engager la bataille contre le service public d’enseignement supérieur, Valérie Pécresse portait l’étendard de « l’autonomie  des universités ». Najat Vallaud Belkacem reprend le combat et cette fois le slogan sera la « démocratisation de l’université ».

Les déclarations de la ministre de l’éducation et de son secrétaire d’État à l’enseignement supérieur sur les masters sont claires : qu’importe la loi, « le master est un bloc », il n’y aura pas de sélection en master 2. Tout étudiant qui obtient le bac peut s’inscrire en licence pour un nombre illimité d’années. Ensuite, tout titulaire de la licence peut s’inscrire  en master 1 et pourra poursuivre ses études en master 2 sans limite de temps. Nous avions, à l’Université Paul Valéry, un étudiant un peu particulier, né comme moi en 1963, qui était toujours en master 1 à 52 ans ce qui causait quelques soucis. Faudra-t-il envisager d’avoir des étudiants « redoublant à vie » ? La politique de la démagogie et de l’hypocrisie que j’évoquais dans ma précédente chronique a gagné.

Démagogie ? Je sais que les politiques ont parfois la mémoire courte, mais, en novembre 2013, Mme Fioraso mentait sans vergogne devant l’Assemblée Nationale et proposait de réduire le nombre de masters dans mon université pour régler les problèmes financiers ; quel revirement !

Je note au passage que Mme Fioraso n’a  jamais eu le courage de s’excuser pour ses mensonges, ni devant nous, ni devant les députés. Il est vrai qu’elle ne l’a pas fait non plus lorsque l’affaire de son CV « embelli» a été mise à jour ce qui ne l’empêche pas de continuer à parader dans les couloirs de l’enseignement supérieur comme si de rien n’était.


Démagogie ? Un an plus tard, en novembre 2014, la même Mme Fioraso devenue secrétaire d’État de la ministre Najat Vallaud Belkacem réformait les masters et annonçait fièrement son ambition de supprimer 5.800 spécialités ! bien entendu elle ne touchait pas aux 4.000 « mastères » délivrés par le privé et encore moins aux « certificats » plus ou moins trompeurs du fichier RNCP.

Le Monde était d’ailleurs dans un grand jour, encourageant la secrétaire d’État de ses questions : « Comment allez-vous faire pour réduire le nombre de Masters ? », « Mais n’existe-t-il pas des masters inutiles ? », « L’offre pléthorique n’a-t-elle pas aggravé aussi la perte d’attractivité de l’université ? » interrogeait Mme Brafman enthousiaste à l’idée de réduire le nombre de masters dans les universités. Et aujourd’hui on supprimerait toute sélection en master 2 ?

Démagogie toujours car l’absence de sélection en master n’est pas tenable. Tout ce qui fait la spécificité et la qualité des masters professionnalisants, les locaux, les intervenants, les séminaires, ne peut s’appliquer qu’à des effectifs limités. Et la ministre est bien placée pour le savoir ; la preuve?

Les arrêtés du 22 janvier 2014 sur les grades et les diplômes de licence et de master font tous du stage une condition  de l’accréditation. Mieux, le gouvernement a pris un arrêté qui limite à 16 maximum, le nombre de stagiaires que peut suivre un enseignant (art. D124-3 Code éducation). Alors, pour s’en tenir à un calcul sommaire, et sans même compter les licences 3, il y avait 8.469 enseignants-chercheurs dans les disciplines juridiques, économiques et de gestion en 2014 (Références et Statistiques 2015, p.313). Au maximum cela fait 135.504 stagiaires susceptibles d’être suivis or il y avait 146.681 inscrits en master (ibid., p. 169). Et encore je me limite ici à ces « grands nombres » qu’affectionnent le ministère, la STRANES, l’IGAENR ou la Cour des comptes et qui ne veulent pas dire grand chose. En réalité, tous ces collègues n’interviennent pas en master et ils sont moins nombreux encore à encadrer des stages. Mme Vallaud Belkacem est-elle prête à créer cette année, pour les seuls disciplines juridiques, économiques et de gestion,  699 postes d’enseignants-chercheurs pour respecter la réglementation qu’elle a publié ? Démagogie !

Alors pourquoi tant de démagogie ? Parce que ces déclarations sont aussi hypocrites. Elles masquent, sous les habits de la « démocratisation de l’université », l’instauration d’un système d’enseignement supérieur à deux vitesses ultra-sélectif. La ministre a parfaitement conscience qu’il est impossible de conserver la même qualité de formation en master 2 sans sélection,  mais les rapports de l’IGAENR ou de la STRANES offrent une alternative beaucoup plus « profitable » : transférer dans le privé ,à travers des partenariats noués au sein des COMUEs, l’excellence de leurs masters.

Comme Valérie Pécresse et Geneviève Fioraso étaient parvenues à transférer aux universités la responsabilité des suppressions de postes dans le supérieur, Najat Vallaud Belkacem va laisser les universités instaurer elles-mêmes le « système américain » dont rêvent quelques lobbies depuis 30 ans. Demain l’université publique assumera sans moyens et sans gloire l’accueil des masses étudiantes dans des formations dévalorisées tandis que la formation des élites sera confiée aux établissements privés dans le cadre d'une sorte de « Partenariat Public Privé » autorisant la délivrance des diplômes d’excellence à un prix élevé.

À suivre : « Quel avenir pour l’enseignement supérieur ? » …

1 commentaire:

  1. Au delà de ces problèmes disons d'organisation et de fluidité des parcours d'étudiants, et/ou de financement des établissements, la question de la survie des universités se pose.
    Le rôle de l’université dans la société est aussi simple qu’ancien : transmettre et créer les savoirs. En conséquence, elle est naturellement en charge de la collation des grades.
    Depuis deux siècles cependant, et contrairement à tous les autres pays, l'université française est l'objet une pulsion destructrice. Ces dernières décennies un tournant quasi hystérique est engagé. Le dépeçage méthodique mis en place n'est que le reflet d'une phobie pathologique contre les intellectuels universitaires dont la liberté est perçue comme une provocation. Nous pouvons cependant leur annoncer une bonne nouvelle : le dépeçage est bientôt terminé. Tous les grades seront prochainement hors du contrôle de l’université.
    Le baccalauréat est entièrement aux mains des professeurs et inspecteurs du second degré qui le distribuent largement. Les professeurs des universités qui sont encore présidents des jurys ne se déplacent souvent même plus. Les Français ont oublié qu'il s'agit d'un grade universitaire et l'oligarchie place ses enfants dans les classes préparatoires avant même les épreuves du baccalauréat qui ne sert donc pas à leur sélection.
    La licence est un grade qui intéresse peu car tout le monde raisonne toujours en bac+2 et bac+5 avec les classes préparatoires et sts ou même iut dont le u est oublié devant le i. Pourtant, des projets actuels du ministère – puisque personne n’a daigné attribuer un Ministre à l’enseignement supérieur et à la recherche- vont changer les choses. Il s'agit de fusionner au sein de ce ministère unique la gestion des années de bac-3 à bac+3.
    . Ainsi, la licence se rapprochera-t-elle des sts et iut. Elle disposera, comme c’est déjà presque le cas, de programmes nationaux et donc verra la mainmise de l’inspection générale et enfin de la secondarisation des professeurs. Ou, quelle aubaine, quel tremplin inespéré pour ces derniers. Nos maitres de conférences, à qui on demande, après 8 ans d’études, d’aller effectuer un stage post doctoral à l’étranger- se verront griller sur le poteau par les enseignants du second degré. Avec des objectifs élevés de diplomation, la licence va suivre la même évolution et le même changement qualitatif que le baccalauréat en son temps. Les professeurs d'universités n'y auront plus aucune place à terme et les petites universités vont devenir des grands lycées.

    Le master a été donné aux écoles dans l’indifférence générale.
    Le doctorat est la dernière muraille de la bastille universitaire à faire tomber. Certaines écoles ont déjà réussi, directement ou non à récupérer le doctorat, mais il s'agissait encore de doctorats de qualité. La campagne définitive de destruction du doctorat est récente. La première étape a été de dispenser du titre de docteur les recteurs et les présidents d’université ou d’écoles.
    On voit ici de quelle façon et avec quelle efficacité l’université est privée des meilleurs étudiants, de la formation des enseignants et des diplômes de qualité de tous les niveaux. Que lui reste-t-il ? Bientôt plus rien. Le dépeçage est bientôt terminé.
    Il faut se battre, car il en va des valeurs les plus fondamentales de la civilisation. En effet toutes les écoles et autres formations non universitaires ont pour objectif de transmettre des aptitudes professionnelles et des savoir-faire dont la France a grand besoin. L’université partage également cet objectif. Mais pour elle il vient en second après celui qu’elle exerce hic et ubique terrarum. Il s’agit de transmettre les connaissances fondamentales et d’en créer de nouvelles au bénéfice de la civilisation et pour « l’honneur de l’esprit humain ». Détruire l’université, c’est détruire la recherche fondamentale et l’évolution intellectuelle sur laquelle repose notre évolution depuis l’Antiquité.

    ....

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