dimanche 8 février 2015

Fonds de roulement (2) : « La bourse ou la vie ? » enjeux d’une polémique

La polémique sur une éventuelle modulation des dotations des universités et des écoles en fonction de leurs fonds de roulement disponibles est repartie de plus belle. Depuis ma précédente chronique, le rapport de l’IGAENR a fuité dans la presse spécialisée, les grands argentiers de l’État y sont allés de leurs déclarations polémiques et les lobbies, CDEFI, CGE, CPU, auto-proclamées « universités de recherche » de leurs communiqués vengeurs.

Pour avoir une vision un peu plus objective de la situation je crois nécessaire de rappeler les enjeux de la polémique, avant de revenir plus en détail sur les arguments développés par les parties en présence.

Les enjeux de la polémique

Le projet du ministère de moduler la dotation 2015 des universités et des écoles répond à deux préoccupations, l’une concrète et l’autre plus théorique.

« Les postes ou les fonds de roulement »?

« La bourse ou la vie ? » disaient les bandits de grands chemins ; pour les universités aujourd’hui l’alternative c’est « Les postes ou les fonds de roulement ? ».


En travaillant sur les fonds de roulement le ministère essaie, très concrètement, de sauver ce qui peut encore l’être pour l’enseignement supérieur et la recherche. Dès le mois d’octobre j’ai souligné sur ce blog (ici, et encore ) l’ampleur dramatique des réductions de crédits et des suppressions de postes. J’ai peu entendu à l’époque le président de la CPU et ses amis, sauf pour faire savoir que son action auprès des parlementaires portait ses fruits ou pour se dire « soulagé » après avoir été reçu par le président de la République ; on a vu le résultat.

2014 a été une année catastrophique durant laquelle le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche a été amputé d’1 milliard d’euros de crédits selon Valérie Rabault, députée socialiste rapporteur du projet de loi de finances. 2015 s’annonce comme une année noire. Les universités et les écoles démarrent l’exercice avec près de 200 millions d’euros en moins pour leur fonctionnement et leur masse salariale.

Cette nouvelle ponction s’accompagne d’une obligation de « mise en réserve » qui se traduit par des suppressions de crédits supplémentaires. L’année dernière cette réserve était de 230M€ et on évoque son doublement pour 2015. Ce sont donc entre 400 et 700 millions d’euros d’économies qu’il faut trouver sur le budget du ministère dont 200 à 300 minimum sur le fonctionnement courant des universités et des écoles ; une gageure !

Cela fait tellement d’années que les universités vivent à l’économie qu’il n’y a quasiment plus de marges sur le fonctionnement. Elles ne disposent que de deux leviers pour réduire leurs dépenses, soit supprimer des cours ou des formations, soit supprimer des postes, de préférence des postes d’enseignants-chercheurs comme le préconisent l’IGAENR et le ministère aux universités en déficit. L’université de Nantes imaginant, avant d’y renoncer, une semaine de « chômage partiel » pour réduire les coûts salariaux est un exemple récent du drame que vivent les universités et leurs équipes de direction.

Pour mesurer plus facilement l’ampleur de la baisse des crédits décidée par le gouvernement de Manuel Valls, une petite illustration s'impose. Le coût moyen d’un poste de professeur étant de 110.000 €, c’est l’équivalent de 1.800 à 2.700 postes de professeurs des universités qu’il faudrait supprimer cette année pour réaliser l'économie de 200 à 300 millions d’euros. Même avec les pseudo « postes Fioraso », ce n’est plus une saignée, c’est une hémorragie, insoutenable pour des établissements qui ont déjà supprimé des postes par centaines depuis 3 ans.

Dans ce contexte, l’idée du ministère de moduler la dotation selon le niveau du fonds de roulement des établissements peut atténuer provisoirement cette catastrophe. Elle permet, en pratique, de mobiliser les crédits non utilisés de certains établissements et de réduire l’ampleur des coupes budgétaires votées par la majorité socialiste.

La méthode est déjà utilisée pour d'autres opérateurs de l'État touchés par des coupes budgétaires ou de nouvelles contributions. Pour ne prendre qu'un exemple, l'AGEFIPH, l'agence qui gère la taxe pour l'emploi des personnes handicapées (autre échec de M. Salzmann cette taxe) voit sa contribution au budget de l'État augmenter et le Parlement explique : « Cette contribution ... sera financée sur le budget de l’association, sans remettre en cause son activité, étant donné que son fonds de roulement s’établit à fin 2013 à 319 M€ ».

Pour reprendre le calcul présenté tout à l’heure, les différents acteurs parlent de mobiliser 100 millions d’euros sur les fonds de roulement. C’est près d’un millier de postes de professeurs que cette mesure permettrait de sauver et c’est la raison pour laquelle je l’approuve.

N’en déplaise à la CDEFI, à la CGE ou au président de la CPU et à ses amis qui critiquent mon raisonnement et celui du ministère, entre la bourse et la vie, je préfère la vie pour les universités et préserver les formations, la recherche et les personnels plutôt que les principes des finances publiques et des fonds de roulement de 400 jours dans certaines écoles. La mesure aurait, en outre, un effet redistributif qui me paraît intéressant.

Mais au-delà de cet intérêt pratique, le projet du ministère a aussi un intérêt plus théorique. Il permet de couper l’herbe sous le pied des cancres prétentieux de Bercy (je m’expliquerai en fin de chronique sur ce qualificatif) et des magistrats de la Cour des comptes qui se sont lancés dans une vaste entreprise de démolition des universités
(à suivre...)


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